A la découverte des costumes bourgeois du dix-huitième siècle

Jocelyne Rueher ( 1995 & 2003 )

 

Lors de ses recherches dans différents musées, la commission du costume d'Alsace Des Arts et Tradition Populaires ( ADATP ) a pu relever la présence de nombreuses pièces de costumes bourgeois, d'époque dix-huitième siècle, propres à notre région. Il lui a paru intéressant de recréer l'un de ces costumes pour illustrer l'important bouleversement qui s'est opéré dans les moeurs vestimentaires de cette période.

Inauguré à l'occasion de l'Assemblée Générale de novembre 1993 ainsi qu'à la remise du Bretzel d'Or à la Filature de Mulhouse, ce costume a beaucoup déconcerté. Plus proche des costumes français de cour que du folklore, pour les non avertis, il a pourtant bien été porté dans notre région. Et s'il fût surtout l'apanage des bourgeoises et des dames de la noblesse, il n'en a pas moins influencé notablement des tenues plus rurales.

 

PETIT HISTORIQUE

L'Alsace du 17ème siècle, à l'image de l'ensemble de l'Europe, porte dans ses moeurs vestimentaires la marque des modes espagnoles et flamandes héritées du Saint Empire Romain Germanique. Les silhouettes sont engoncées dans des tenues rigides et sombres aux formes souvent austères, la sévérité espagnole le disputant aux préceptes de la Réforme.

La France d'alors découvre une grande nouveauté: les toiles peintes. Egalement appelées "indiennes", ces étoffes d'un genre nouveau font leur apparition dans les ports où relâchent les bateaux revenant des Indes. Ces toiles de coton léger, aux impressions de couleurs vives, sont à la base dune véritable révolution vestimentaire. La Cour comme la Ville s' emparent de ce goût nouveau pour la couleur et la légèreté.

L'Alsace "annexée" à la manière que l'on sait par Louis XIV, voit arriver les fonctionnaires français, qui s'installent à la suite des armées. Leurs femmes apportent avec elles les modes en vigueur à la cour de France. Conquise par les armes, l'Alsace va peu à peu l'être aussi par le vent de la nouveauté vestimentaire.

Bien que la fidélité aux modes anciennes soit vécue comme une bravade face à l'autorité royale, les dames vont peu à peu se laisser séduire par " le goût français ", Au grand dam des autorités morales et religieuses qui fustigent l'immodestie de ces nouveautés, les élites nobles et bourgeoises abandonnent lentement la mode allemande au profit des tenues à la française. Dans les campagnes, le changement se fera de façon plus nuancée en fonction des capacités économiques et des rigorismes culturels.

 

 

Au 18ème siècle, le paysage vestimentaire alsacien se trouve ainsi très contrasté. Les endroits où le tissu urbain et économique est important agissent comme des centres de diffusion de la mode vers les campagnes environnantes. La mode française y est donc très présente. A l'opposé, les zones rurales éloignées ou moins actives économiquement restent fidèles aux tenues allemandes.

A cette répartition qui correspond à des critères économiques évidents, se rajoutent des enjeux plus politiques : alors que dans certaines villes, les élites se laissent gagner par un sentiment francophile, d'autres lieux, telle la ville de Strasbourg, entretiennent la résistance au pouvoir royal en restant fidèles aux traditions vestimentaires allemandes. C'est ainsi qu'au 19ème siècle, alors que la rivalité entre les deux modes n'aura plus court, les régions agricoles riches autour de Strasbourg garderont un style allemand. Ex : le costume à grand nœud, dit "alsacien" de la région du Kochersberg popularisé par Hansi.

Pendant longtemps c'est au niveau des pièces de prestige de la parure féminine que les archaïsme vont rester particulièrement fixés : les coiffes sont considérées, à juste titre, comme des éléments de prix et des symboles forts de la position sociale. Bien que formant un contraste saisissant avec les modes françaises, les bicornes de feutre, les " schnepper " et autres coiffes dorées anciennes sont conservés et continuent d'être arborés par les femmes de toutes conditions.

Le port du tablier à plis nombreux et serrés, autre habitude allemande reste également en usage, même au sein de la haute bourgeoisie. Les tours de cou, cravates "palatine" et fichus noués sur la nuque complètent cet aspect hétéroclite dont les voyageurs du temps ne manqueront pas de brocarder, étonnés par ce provincialisme irréductible.

 

RECONSTITUTION

C'est en tenant compte de toutes ces informations que la commission costume a travaillé à la reconstitution du costume qui est présenté actuellement.

Il est de style "français", c'est à dire qu'il se compose de deux pièces séparées: un "haut" largement décolleté, de type casaquin et une jupe ample s'appuyant sur des paniers. Il est inspiré de deux modèles différents conservés l'un à Colmar, l'autre à Mulhouse.

Pour le haut : la coupe du corselet a trouvé son modèle au Musée des Unterlinden de Colmar. La pièce d'origine est en Indienne de coton imprimé à fond blanc.

Pour la jupe: le corselet de Colmar n'a pas conservé la jupe qui lui faisait pendant. Le modèle de cette jupe a été repris sur un autre ensemble ( haut et jupe ), complet celui-la, conservé au Musée Historique de Mulhouse.

Les tenues bourgeoises de l'époque semblent avoir privilégié ces "ensembles" haut et bas de même étoffe. On en trouve de nombreuses traces, sur les portraits de l'époque, comme dans les réserves des musées locaux. Certains sont "entiers", d'autres (comme à Colmar) n'ont conservé d'intact que le corselet, la jupe et son large métrage ayant fait les frais d'un réemploi.

Les deux modèles d'origine, celui de Colmar et celui de Mulhouse, nous démontrent que les étoffes choisies pour ces robes pouvaient être de qualité très différentes : certaines étaient de coton imprimé comme à Colmar, d'autres à motifs brodés sur la toile comme à Mulhouse.

 

Mais la soie était également utlisée, autant pour le fond que pour la broderie des motifs : fleurs en bouquets ou guirlandes, oiseaux, insectes et papillons, etc…

L'étoffe qui a été choisie pour la reconstitution est une indienne de coton imprimé, la plus proche possible du modèle d'origine, produite par la Maison Beauvillé, prestigieuse manufacture alsacienne.

LES ACCESSOIRES

Sur cette base de style français se rajoutent des pièces qui sont, elles, de style allemand:

- le tablier, enveloppant, à très nombreux plis,

- le tour de cou brodé et noué dans la nuque.

- le fichu de mousseline blanche. Il est plutôt français. Mais il semble qu'il y ait eu rencontre avec l'habitude allemande du port de cravates d'étoffe noire ou de fourrure, habitude popularisée en France par la princesse Palatine, d'où leur nom. Les paysannes restaient d'ailleurs très attachées à cette coutume et continuaient à porter ensemble cravate et fichu. Ces fichus ou "mouchoirs de cou" restaient de taille moyenne,couvrant les épaules ou faisant plusieurs tours autour du cou. Les grands châles enveloppant n'apparaissent qu'après la Révolution.

 

Il est à noter que l'on affectionnait aussi beaucoup les colliers à petits grains de corail ou d'ambre à plusieurs rangs. Ces colliers étaient souvent offerts comme porte-bonheur aux femmes au cours de leurs grossesses.

 

LA COIFFE

Les coiffes dorées, de formes multiples et, on l'a vu, particulière à la mode allemande continuèrent d'orner la tête des alsaciennes de toutes conditions. Prenant la forme d'un bonnet plat à couture médiane couvrant la tête ou d'une calotte rigide de dimension plus réduite, elles furent portées pendant tout le 18ème siècle.

Les dames bourgeoises et patriciennes portaient de préférence le modèle à calotte de forme plus ou moins ronde. (photos ci-contre)

A Strasbourg, cette calotte ronde s'enrichissait de trois pointes effilées sur le front et les tempes. Ce "schnepper" se portait également à Bâle. Les jeunes filles portaient ces coiffes très particulières en tirant leurs cheveux en longues nattes retombant dans le dos.

Pour compléter la reconstitution, c'est le modèle à calotte ronde qui a été choisi. Présents sur des portraits à Mulhouse et Bâle, on les retrouvent également conservées au sein des musées de cette ville. Ce qui permet de proposer un ensemble cohérent

C'est pourquoi la commission du costume s'est attelée également à sa reconstitution afin de constituer, avec le costume existant, un ensemble cohérent.